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La Chine affronte une crise inédite
 
mardi 22 août 2023, source : Journal Le Monde
La deuxième économie mondiale fait face à l’éclatement de sa bulle immobilière et à un ralentissement sévère L’économie chinoise estelle au bord du gouffre ? En deux semaines, les mauvaises nouvelles se sont accumulées pour la deuxième économie mondiale : chute des exportations de 14,5 % en juillet, défaut de paiement et mise en faillite des principaux promoteurs immobiliers, entrée en territoire déflationniste… Signe que la situation est sérieuse, les autorités chinoises font tout pour cacher les difficultés : les économistes sont priés de ne parler que des bonnes nouvelles, et le Bureau national des statistiques a arrêté de publier les chiffres du chômage des jeunes, qui venait de battre un record en juin, en atteignant 21,3 %. Sur le terrain, difficile de trouver des patrons optimistes quant à l’état de leur secteur. Peu confiants dans l’avenir, les ménages épargnent plus qu’ils ne dépensent. Si l’humeur est sombre, les experts s’accordent à dire que l’éclatement d’une bulle spéculative façon Lehman Brothers en 2008 est peu probable. Le risque est plutôt que la crise actuelle ne s’éternise, ouvrant une longue période de stagnation comme au Japon après 1991. « Nouvelle normalité » Car le ralentissement conjoncturel s’ajoute à une tendance structurelle : la fin d’une ère de croissance forte, et l’entrée dans une « nouvelle normalité » : celle d’une Chine moins dynamique, dont la population baisse, mais dont le développement reposerait sur une croissance « de haute qualité », selon le jargon officiel, c’est-à-dire basée sur la consommation et les hautes technologies, et moins sur les investissements et les exportations. Mais négocier cet atterrissage, après une trentaine d’années de développement effréné, est particulièrement délicat. C’est même le plus grand défi économique du règne de Xi Jinping. Car le ralentissement actuel révèle les déséquilibres accumulés pendant la période précédente. Le principal sujet d’inquiétude est le risque de contagion de l’immobilier à la finance. Après le défaut de Country Garden, une autre information a créé la panique chez les investisseurs : une filiale du fonds d’investissement Zhongzhi avait elle aussi fait défaut sur des obligations, révélaient ses créditeurs le 11 août. L’entreprise est l’un des principaux acteurs de la « finance de l’ombre », moins contrôlée que les banques ouvertes au grand public, mais qui joue un rôle important pour financer le privé. L’exposition de ces institutions au secteur immobilier fait craindre qu’elles ne soient les prochaines à plonger, alors que plus de quatre-vingts promoteurs ont fait défaut depuis deux ans. En 2022, les difficultés de banques locales du Henan (Centre), elles-mêmes proches de promoteurs immobiliers, avaient poussé des milliers d’épargnants à manifester pour récupérer leurs économies. Pour autant, les autorités ont les moyens d’empêcher que la crise immobilière ne devienne crise financière. Le scénario du pire verrait une multiplication des défauts de promoteurs mettant en difficulté les acteurs les plus faibles de la finance et les gouvernements locaux, eux-mêmes criblés de dettes. « Mais, même si cela se produit, le gouvernement central dispose encore d’une grande marge de manoeuvre pour absorber la dette des gouvernements locaux et restructurer ces actifs douteux. Bien sûr, cela a un coût. Les taux d’intérêt pourraient augmenter, et les notations de crédit baisser. L’économie souffrira avant de pouvoir redémarrer », estime Tommy Wu, économiste principal pour la Chine chez Commerzbank. La Chine paie le prix de sa croissance à crédit. Car, derrière son statut d’« usine du monde », exportant des biens manufacturés dans le monde entier, la Chine doit une partie de son développement à l’investissement : investissement public dans les infrastructures, et privé dans l’immobilier, le tout bâti sur une montagne de dettes. Chaque fois que l’activité montrait des signes de ralentissement, les autorités ont su créer les conditions de ruées vers l’immobilier. Chantiers arrêtés « C’est le sort de tout pays qui entretient un boom immobilier : lorsque le gouvernement encourage les promoteurs, les ménages, les entreprises, les banques à penser que la seule voie pour l’immobilier, c’est la hausse, les acteurs se retrouvent surexposés. Quand la musique s’arrête, le retour de bâton est violent », résume George Magnus, économiste indépendant. Prédit par les économistes depuis des années, l’éclatement de la bulle immobilière est en train d’avoir lieu, en partie sous l’impulsion de Pékin. Après une énième période de hausse des prix en 2020, sur fond de taux d’intérêt bas pour compenser les effets de la pandémie de Covid-19, les autorités ont décidé de s’attaquer plus sérieusement au surendettement du secteur. Brandissant le slogan de Xi Jinping selon lequel « les appartements sont faits pour habiter, pas pour spéculer », la banque centrale a du jour au lendemain coupé les crédits aux promoteurs trop endettés. Evergrande a été le premier géant à tomber, il y a deux ans, dévoilant une dette estimée à 340 milliards de dollars (312 milliards d’euros) fin 2022. Partout, des chantiers se sont arrêtés faute de fonds, et des propriétaires en colère ont manifesté. Depuis, des lignes de crédits spécifiques ont été ouvertes pour assurer la complétion des projets en cours, mais pas plus. Les entreprises d’Etat sont poussées à reprendre les projets des investisseurs privés en difficulté. La procédure de faillite d’Evergrande aux Etats- Unis le 18 août s’inscrit dans ce processus. Le problème est que les efforts de désendettement, loués par les économistes, arrivent trop tard, quand les autorités ont le couteau Une inquiétude mondiale mais pas de risque systémique Les difficultés de la Chine vont peser sur ses partenaires. Toutefois, l’hypothèse d’une contagion majeure est rejetée par la plupart des analystes New York - correspondant Soudain une inquiétude : la crise immobilière chinoise peut-elle provoquer une crise financière systémique comme le fit, en 2008, la faillite de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers, provoquant la pire crise économique depuis 1929 ? « Les investisseurs craignent que le “moment Lehman?? de la Chine ne se profile », titre le Wall Street Journal dans un article du vendredi 18 août, même si une analyste citée, Xiaoxi Zhang de Gavekal Research estime que la « vigilance réglementaire » de Pékin rend cette issue peu probable. A Wall Street, les observateurs sont soucieux, d’autant que la crise chinoise se conjugue avec la hausse des taux d’intérêt à long terme américains, qui ont atteint, jeudi, leur plus haut niveau depuis 2007 (à 4,329 %) et laissent augurer la fin définitive de l’argent gratuit qui prévalait depuis la grande récession. « Les marchés sont pris dans une “tempête parfaite??, au milieu d’une flambée des taux, d’une détérioration des données économiques en Chine, d’une faible liquidité estivale et d’une grève des acheteurs [d’actions] », écrit Emmanuel Cau, responsable de la stratégie actions européennes de Barclays. La crise chinoise peut-elle créer un effet domino sur la planète ? « Il n’y aura pas d’effet Lehman, estime Patrick Artus, économiste en chef de Natixis. Il n’y a pas d’effet amplificateur ou d’effet de levier. Ce seront des pertes sèches en capital pour les investisseurs », estime l’économiste, qui reconnaît qu’il est très dur de savoir qui détient les 200 milliards de dollars (184 milliards d’euros) de dette de Country Garden, promoteur chinois géant ayant fait défaut sur des obligations cette semaine. Une étude de la Banque centrale européenne, réalisée en 2022, estimait que, avec un marché fermé, un choc financier en Chine avait un effet deux fois moindre sur les marchés financiers mondiaux d’actions qu’un choc équivalent aux Etats-Unis. En revanche, l’impact est plus fort sur les marchés de l’énergie et des matières premières, la Chine consommant par exemple 56 % du cuivre mondial. Le ton a changé Il est certain que les difficultés de la Chine, deuxième économie du monde, vont peser sur ses principaux partenaires économiques, en particulier le Japon, la Corée du Sud ou l’Allemagne. Mi-juillet, l’Allemagne, qui exporte machinesoutils et automobiles en Chine, a présenté un plan pour s’affranchir du risque chinois. « Nous ne voulons pas nous découpler de la Chine, mais minimiser nos risques. Plus le commerce et les chaînes d’approvisionnement sont diversifiés, plus notre pays est résilient », a déclaré Annalena Baerbock, la ministre allemande des affaires étrangères. Janet Yellen, la secrétaire américaine au Trésor, a voulu rassurer en début de semaine : « Le ralentissement de la Chine aura le plus grand impact sur ses voisins asiatiques, mais il y aura des retombées sur les Etats-Unis. » Le ton est plutôt à l’évaluation de la politique amorcée par Donald Trump et mise en oeuvre par Joe Biden, invitant à s’affranchir de la dépendance à la Chine et à l’empêcher de dépasser économiquement les Etats-Unis : production domestique de microprocesseurs, de terres rares ; soustraitance envers les pays amis (Vietnam, Inde, Mexique…) et contrôle accru des exportations de matériel sensible vers la Chine. En quelques années, le ton a spectaculairement changé – les Etats- Unis, qui s’autodénigraient, estiment que la Chine ne les dépassera jamais – et les analystes explorent les causes du mal chinois. Celui-ci est politique, selon Adam Posen, président du Peterson Institute, think tank libéral de Washington, qui accuse Xi Jinping d’avoir découragé durablement l’entreprise privée. L’expert Michael Pettis juge sur X (ex-Twitter) que les déboires de la Chine remontent à plus loin. Le pays n’a pas changé de modèle lorsqu’il a accompli l’essentiel de son rattrapage, ce qui « a conduit à des bulles d’actifs, en particulier dans l’immobilier, et à une augmentation insoutenable de la dette ». Mais même si la situation est jugée négativement, nul ne table sur un affaiblissement du pouvoir de Xi Jinping. « Si vous écoutez ce que [Xi Jinping] dit, je pense qu’il finira par prendre, reprendre Taïwan par la force d’ici à la fin de l’année prochaine, a déclaré à la chaîne américaine CNBC Kyle Bass, investisseur très critique sur la Chine. Nous, à Wall Street, aimons penser qu’il ne ferait jamais cela parce que cela n’a aucun sens économique. Nous devons arrêter de penser de cette façon et commencer littéralement à écouter ce que l’homme dit. » Jeudi 10 août, Joe Biden avait qualifié les difficultés économiques de la Chine de « bombe à retardement ». « Ils ont des problèmes, et ce n’est pas bien, car, quand les méchants ont des problèmes, ils font de mauvaises choses. » Arnaud Leparmentier Signe que la situation est sérieuse, les autorités font tout pour cacher les difficultés sous la gorge. Si Pékin parle de discipline financière depuis 2016, l’endettement a continué à exploser jusqu’en 2022. « C’est une correction majeure des politiques passées, relève Dan Wang, économiste en chef à la banque hongkongaise Hang Seng. L’objectif est de réduire la bulle des actifs et de changer le moteur de la croissance. D’une certaine manière, c’est un succès. Mais le problème, c’est que maintenant que les infrastructures et l’immobilier ne sont plus disponibles pour tirer l’activité, nous n’avons pas de moteur de remplacement. » La « croissance de haute qualité », fondée sur la consommation des ménages et l’innovation, vantée par les autorités, pourra-telle remplacer les myriades de chantiers qui ont donné du travail aux millions de travailleurs migrants des campagnes chinoises ces vingt dernières années ? « Elle risque d’avoir le goût de la stagnation », avertit Dan Wang. p Simon Leplâtre


 
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